Simone Lagrand

La fiche de lecture de Simone Lagrand

Simone Lagrand est martiniquaise, auteure et interprète de sa propre parole. Qu’il s’agisse de poésie, chanson, fiction longue etc, son écriture nourrit une obsession pour la cicatrice, le gwopwèl, la sensualité, la nuit, la nature et la solitude filiale. Habituée des performances en festivals de jazz ( Lamentin jazz project, Jazz à Porquerolles, Rueil, Jazz, Festival de Fort-de-France, Biguine jazz…) et des collaborations éclectiques ( Jeff Baillard, Stéphane Castry, Dj Motsek, Zist, DJ Noss…), elle se définit comme une paroleuse. Actuellement, Simone fait partie des 80 artistes résidants de la Villa Albertine, un ambitieux projet au service des arts et des idées Français aux États-Unis. Elle a choisi Miami, quand d’autres sont logés à New-York, San Francisco ou LA. Au téléphone récemment, elle m’a vite abandonnée car elle se dépêchait pour aller visiter Little Haïti. Je la reconnais bien là, Simone.

Simone est aussi une amie. Elle a eu la primeur de lire Je ne suis pas ta mère. Et je peux vous dire ici sans sourciller que j’ai chialé après avoir lue son texte ci-dessous.

Je vous le partage presqu’en intégralité. J’ai du retirer certains passages.

Elle a faillit n*quer l’intrigue, frère 🙂


Rose Pierre-Louis n’est pas une romancière, du moins, elle ne le sait pas. Elle signe avec “Je ne suis pas ta mère”, un texte poignant, vibrant, prenant. Un livre qui fait la promesse d’une écriture qui ne demande qu’à s’épanouir au-delà de la douleur. Notre autrice n’est pas une romancière. Elle nous écrit sa vie, et sa vie n’est pas un roman, même si à chaque moment vécu par la petite fille qu’elle décrit, on préférerait que tout cela ne soit que fiction. Même si l’insoutenable côtoie un glamour parfois surréaliste mais pourtant vrai. Même si jusqu’au bout, les larmes ne sont jamais loin.

La vie de Rose Pierre-Louis est bien réelle. Elle est cousue au fil de souffrances qu’il faut probablement écrire, cracher, graver, pour nettoyer les plaies qu’elles ont causées. 

L’autrice a beau semer ci et là des graines d’humour, de sensationnel, de chick litt légère, le sujet de la souffrance filiale couvre les pages de son épaisseur. Et c’est ok. C’est ok de ne pas qu’être jolie et souriante, perchée sur des escarpins élégants. J’ai connu Rose il y a déjà quelques années. Fascinée par son aisance en public, sa beauté irrévérencieuse et son parcours professionnel digne d’une success story à l’américaine, je me suis toujours demandé ce que je trouverais en grattant un peu sous sa manucure impeccable.  Avec “Je ne suis pas ta mère” Rose Pierre-Louis enlève sa french comme on enlève un pansement d’un coup sec, vif et salvateur. 

J’ai lu ce livre en une nuit. Il se lit vite. Non pas que l’histoire qu’il raconte soit facile à lire, mais l’écriture simple, directe, aux images délicates, le rythme de série télé qu’on binge dans un état hypnotique, ont rendu ma lecture fluide.  Très vite, on prend par la main cette petite fille, cette adolescente, cette jeune femme, jusqu’à presque serrer dans ses bras la femme d’aujourd’hui. Celle qui écrit ces pages empreintes de fragilité, de colère, de rires, de révolte et d’espoir. Mais bon, elle ne nous laisse pas faire. Le format très court de ses chapitres nous renvoyant à chaque fois au prochain épisode au moment même où l’on commence à peine à s’installer confortablement, donne parfois un goût de pas-assez à la lecture.

Choix stylistique ou auto-limitation? On perçoit un peu ce “freinage” narratif dans l’évocation de Haïti qui reste en surface. L’autrice semble ne pas vouloir être en colère avec Haïti tout en éprouvant un ressenti entier pour cet endroit où elle est née et qui fait partie de sa vie malgré tout. 

Ce n’est pas chose facile, de se mettre à nue de telle sorte. En particulier quand on opère dans le milieu du luxe, du paraître, de la cosmétisation de la vie. Il faut une certaine dose de courage et d’adrénaline pour tout révéler, tout réveiller, tout laisser dévaler comme ça.

En enrobant son histoire d’anecdotes qui touchent à l’adolescence et la vie de jeune adulte de tout.e lecteur.trice né.e dans les années 80, Rose Pierre-Louis nous embarque avec elle. Et nous rappelle que nous avons tous.tes probablement fréquenté une “Rose”, sans le savoir. Les références musicales et cinématographiques qui introduisent chaque chapitre gagneraient à être un peu plus accompagnés, ou commentés. Néanmoins, cette idée de proposer une caractérisation supplémentaire à la protagoniste est pleine de sens. L’on aurait aimé que ce parti pris soit tissé à chaque chapitre d’une manière plus lisible, mais l’on accepte volontiers l’invitation à aller chercher dans les souvenirs. 

Le titre nous lance sur une piste très différente de celle que l’on prend dès le départ. […]

“Je ne suis pas ta mère” est le livre d’une femme de son temps. Une femme qui a connu […] , l’afro féminisme” tard, mais qui en fait un usage puissant. Et même si je n’ai pas vécu toutes ses blessures, je me retrouve dans ce livre. En ce sens, Rose Pierre-Louis réussit un tour qu’il n’est pas facile de réaliser en littérature: nous embarquer dans son histoire et nous concerner avec un sujet dont la violence est indéniable. 

Comment réussit-elle cet exploit? En nous livrant toutes les facettes de sa personnalité sans fard. Parfois il faut les lire entre les lignes, mais si on plie les yeux, tout est là. Les démons, la beauté, la laideur, les cris, les rires, la joie, la peur, l’ambition, l’insécurité, la rage, la force, même intranquille. 

Le choix narratif donne un souffle apaisant à ce texte bouleversant. L’on a beau avoir la boule au ventre en avançant dans la lecture, l’autrice parvient à instiller des zones de repos. Pour reprendre son souffle, pour essuyer une larme, pour secouer la tête d’indignation, ou pour simplement fermer les yeux. 

La chronologie est claire, les personnages sont forts, même si l’on soupçonne l’autrice de ne pas nous avoir tout livré de leur psychologie (bon on lui en veut un peu parce qu’on sait immédiatement qu’elle en est capable). C’est un roman autobiographique chargé en émotions. Qu’elles soient livrées en lecture ou cachées derrière de l’humour ou un certain détachement stylistique. Ce livre n’est ni une confession (l’héroïne n’a rien fait de mal), ni un pavé dans la mare, c’est un rare témoignage d’une femme noire travaillant dans un domaine où l’on raconte peu qui on est sinon en version magnifiée ou sordide.

Après l’avoir lu, je me suis sentie soulagée pour Rose Pierre-Louis, et j’ai eu envie de lui dire: ta vie avait besoin de ce roman, mais maintenant que tu as livré toute cette douleur, on en veut plus. Es-tu seulement consciente du potentiel qu’est le tien. Tu peux écrire beaucoup d’autres textes. Celui-là était très important. Ce sont tes tripes qui n’ont besoin de l’aval de personne pour avoir une place à n’importe quelle table. Mais on en veut plus. On te veut toi. La femme que tu es ne pourra jamais se séparer de la petite fille, de l’adolescente, de ses mères, mais pour ton prochain livre on veut que ton humour ne cache aucune cicatrice, on veut que ta verve canaille et savoureuse nous en mette plein la vue.

Tu es la preuve vivante que la douleur n’empêche pas d’avancer.  Pour le prochain, c’est la femme en chemin que l’on veut rencontrer. On te veut toi. La femme d’affaire, l’amoureuse, celle qui connait les people et qui fait des stories insecure mais drôles sur les rs. Celle qui a un ticket full si découvert.

Rose Pierre-Louis n’a pas fini de nous étonner. 

Simone Lagrand

Feeling list ce qui m’est passé par la tête et les oreilles en lisant

  • Precious, Sapphire
  • Le livre d’Emma, Marie-Céline Agnant
  • Annie John, Jamaica Kincaid

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